Marc Delcourt n’est pas encore le roi du pétrole vert. Mais ce biologiste, reconverti en entrepreneur, est en passe de réussir son pari un peu fou : produire du plastique et des carburants à partir non pas d’or noir, mais de plantes comme la betterave ou la canne à sucre. La preuve ? Après le laboratoire puis l’unité pilote, la société qu’il a créée en 2008 avec son complice Philippe Marlière, Global Bioenergies, se prépare à passer à l’étape industrielle.
À l’issue de quelques mois d’études préalables, la start-up a annoncé, jeudi 21 mai, avoir conclu un accord en vue d’ouvrir une première usine. Elle sera construite en France, en association avec Cristal Union. Grand producteur de betteraves, connu pour sa marque de sucre Daddy, le groupe coopératif est déjà actionnaire minoritaire de Global Bioenergies, avec 6 % du capital.
« Deux ans après avoir levé des fonds pour sortir du laboratoire, nous avons passé ce cap, et l’exploitation de notre produit à l’échelle commerciale émerge de la brume », se réjouit M. Delcourt.
La localisation du site n’est pas encore arrêtée
Ensemble, les deux partenaires viennent de constituer une société commune à 50-50, destinée à bâtir et exploiter le futur site. Celui-ci devrait être opérationnel en 2018, même si sa localisation n’est pas encore arrêtée. Il pourrait employer 50 à 100 personnes. Cristal Union et Global Bioenergies ont aussi recruté le responsable du projet : Bernard Chaud, un ancien du ministère de l’agriculture et de l’industrie sucrière (Tereos).
À l’entrée de la future usine, des betteraves ou des céréales. À la sortie, de l’isobutène, un produit chimique utilisé dans les plastiques, le caoutchouc, l’essence, les lubrifiants, etc. Cette brique élémentaire de la chimie est généralement tirée du pétrole. Ici, elle proviendra du sucre contenu dans les végétaux, grâce à une fermentation avec des bactéries.
L’investissement est évalué à 100 millions d’euros. Cristal Union en apportera une partie, et devrait être à terme le principal actionnaire de l’usine. Pour le numéro deux français du sucre, un temps convoité par son grand rival Tereos, le pétrole et le plastique verts peuvent constituer un nouveau débouché utile au moment où son marché historique se trouve menacé.
Les quotas européens actuels vont en effet disparaître en octobre 2017. Une révolution. Elle risque d’inciter les industriels à produire massivement, quitte à provoquer une guerre des prix dans la mesure où la consommation du sucre pour l’alimentation ou la fabrication d’alcool, elle, tend plutôt à stagner ou baisser. Les prix du sucre dans l’Union européenne ont déjà chuté d’environ 30 % en 2014.
Essence végétale livrée à Audi
Global Bioenergies entend de son côté ne garder qu’une participation symbolique dans l’usine. Pas question pour la PME de rivaliser avec les mastodontes de la pétrochimie. Ses fondateurs préfèrent se concentrer sur la mise au point du procédé, et être rémunérés à travers des accords de licence.
Pour le reste du financement, les deux associés misent sur l’appui de fonds sectoriels, de fonds publics, de clients industriels, et sur le recours classique à l’endettement.
En attendant l’ouverture de cette usine, l’équipe de Global Bioenergies veut confirmer l’efficacité de son procédé. L’unité pilote en fonctionnement depuis six mois à Pomacle-Bazancourt, près de Reims (Marne), a permis de livrer récemment à Audi de l’essence végétale « qui se comporte exactement comme celle tirée du pétrole », selon M. Delcourt.
Le chimiste Arkema a aussi reçu un premier lot d’isobutène, avec six mois d’avance sur le calendrier. Deux annonces qui ont fait bondir l’action Global Bioenergies de plus de 30 % en quelques jours, portant à 123 millions d’euros la valeur boursière de la société.
Ces résultats doivent encore être validés dans le futur démonstrateur, dix fois plus important, en cours de construction depuis un mois à Leuna, en Allemagne. La première usine française, elle, sera encore 500 fois plus grande. Chaque fermenteur aura une capacité représentant 50 fois celle de Leuna, et il y aura dix fermenteurs au lieu d’un seul.
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